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Traduction juridique : spécificités en Suisse, Canada et Royaume-Uni

8 Octobre 2025 - Long format

📋 Dans un monde où les transactions économiques et les contentieux dépassent largement les frontières, la traduction juridique occupe une place essentielle. Les avocats, juristes d’entreprise et investisseurs sont régulièrement confrontés à des documents rédigés dans des systèmes juridiques étrangers. La qualité de leur traduction ne relève pas seulement d’une question de style : elle conditionne la sécurité juridique des opérations, qu’il s’agisse d’un procès, d’un contrat international ou d’une prise de participation.

⚖️ Or, traduire le droit ne se réduit jamais à transposer des mots. Chaque pays mobilise des concepts, des traditions juridiques et des usages terminologiques qui lui sont propres. La Suisse, le Canada et le Royaume-Uni en offrent trois illustrations particulièrement marquantes :

  • la Suisse, avec son multilinguisme institutionnalisé et ses particularismes cantonaux ;

  • le Canada, marqué par la coexistence du droit civil québécois et de la common law dans le reste du pays ;

  • le Royaume-Uni, dont le droit de common law a essaimé dans le monde entier mais dont la terminologie reste souvent intraduisible.

🔍 Cet article propose un tour d’horizon de ces trois contextes, en mettant en lumière les défis concrets pour la traduction juridique et les solutions pratiques que peuvent adopter les professionnels du droit et de la traduction.

🌍 La traduction juridique en contexte comparé

📖 La traduction juridique ne peut se comprendre qu’en tenant compte du système de droit d’origine et du système de réception. Contrairement à d’autres domaines techniques, le droit n’est pas universel : il repose sur des concepts construits historiquement, propres à chaque tradition juridique.

⚖️ Civil law, common law et systèmes mixtes

  • Civil law (droit civil) : issu du droit romain et largement codifié (France, Allemagne, Suisse, Québec). La loi écrite constitue la source première.

  • Common law : tradition anglo-saxonne, fondée sur la jurisprudence et le précédent (Royaume-Uni, États-Unis, provinces canadiennes hors Québec). Le juge occupe une place centrale dans la création des règles.

  • Systèmes mixtes : certains pays combinent les deux, comme la Suisse (multilinguisme et influences croisées) ou le Canada (droit civil au Québec, common law ailleurs).

🎯 Conséquence pour la traduction : un même terme peut recouvrir des réalités différentes selon le contexte. Par exemple :

  • Obligation (civil law) → concept juridique précis d’un lien de droit entre créancier et débiteur ;

  • Obligation (common law) → peut désigner toute forme d’engagement, y compris moral, sans la même portée normative.

🔍 Terminologie et équivalence fonctionnelle

La difficulté majeure réside dans la recherche d’équivalences fonctionnelles : il ne s’agit pas de traduire littéralement, mais de trouver dans la langue cible le terme ou la formulation qui reflète au mieux l’effet juridique recherché.

Exemples :

  • Equity (common law) : notion d’équité liée à une juridiction spécifique et à des remèdes particuliers, sans équivalent en droit civil.

  • Consideration : condition de validité du contrat en droit anglais, inexistante en droit civil.

  • Hypothèque (civil law) ≠ mortgage (common law), qui recouvre une structure contractuelle et procédurale différente.

💡 Cela explique pourquoi la traduction juridique exige souvent la double compétence : maîtrise linguistique et connaissance des systèmes de droit.

🇨🇭 Spécificités de la traduction juridique en Suisse

📖 La Suisse se distingue par un multilinguisme institutionnalisé : l’allemand, le français et l’italien sont langues officielles au niveau fédéral, tandis que le romanche bénéficie d’un statut particulier. Conformément à l’article 70 de la Constitution fédérale, tous les textes législatifs fédéraux doivent être publiés dans ces trois langues officielles.

⚖️ Particularité fondamentale : les versions française, allemande et italienne d’une même loi ont valeur juridique égale. Il n’existe pas de « version originale » qui ferait foi sur les autres. En cas de divergence, le Tribunal fédéral est tenu de comparer les textes et de rechercher le sens commun. La traduction est donc partie intégrante du processus normatif : elle n’est pas un outil secondaire, mais un élément constitutif du droit suisse.

🔍 Cette situation engendre des défis considérables. D’une part, certains concepts n’ont pas d’équivalent exact d’une langue à l’autre : le terme allemand Eigentum recouvre un champ légèrement différent de celui du mot « propriété ». D’autre part, les cantons disposent de compétences législatives, si bien que la terminologie peut varier d’une région à l’autre. Une notion procédurale n’est pas toujours formulée de la même manière à Genève (canton francophone) et à Zurich (canton germanophone).

📋 Exemple concret : un pacte d’actionnaires conclu à Genève entre partenaires francophones, germanophones et italophones doit être rédigé dans plusieurs langues. Le traducteur doit garantir que :

  • chaque version exprime fidèlement les mêmes droits et obligations ;

  • aucune ambiguïté ne naisse d’un terme trop étroit ou trop large ;

  • les investisseurs puissent se fier indifféremment à « leur » version linguistique.

💡 En pratique, traduire en Suisse revient donc à exercer un rôle de co-rédacteur juridique. La traduction n’y est pas un simple service d’accompagnement, mais un pilier de la sécurité juridique et de l’égalité entre communautés linguistiques.

📊 Comparatif – La Suisse face aux pays européens monolingues

Pays Régime linguistique Valeur juridique des versions Impact pour la traduction juridique
🇨🇭 Suisse 4 langues nationales (3 officielles : allemand, français, italien) Égalité absolue des versions (art. 70 Cst.) La traduction fait partie de la production normative ; le traducteur est co-rédacteur du droit
🇫🇷 France Français seule langue officielle (art. 2 Cst.) Seule la version française a valeur juridique La traduction en d’autres langues n’a qu’une valeur informative
🇩🇪 Allemagne Allemand seule langue officielle (art. 23 Loi fondamentale) Seule la version allemande fait foi Les traductions (ex. en anglais pour investisseurs) n’ont pas de valeur contraignante

💡 Conclusion : La Suisse se distingue radicalement des systèmes monolingues : la traduction juridique n’y est pas accessoire, mais constitutive de l’ordre juridique.

🇨🇦 Spécificités de la traduction juridique au Canada

📖 Le Canada présente une situation juridique unique au monde : officiellement bilingue, il combine deux traditions distinctes. Le Québec relève du droit civil, inspiré du modèle codifié français, tandis que le reste du pays applique la common law d’origine britannique. À l’échelle fédérale, les lois doivent être adoptées et publiées simultanément en anglais et en français, conformément à la Loi sur les langues officielles (R.S.C., 1985, c. 31).

⚖️ Particularité fondamentale : les deux versions linguistiques ont valeur juridique égale. Le traducteur n’est pas seulement chargé de transposer le texte, mais agit comme un véritable co-rédacteur du droit. Chaque version doit être autonome et juridiquement valide, ce qui implique de dépasser la traduction mot à mot pour viser une équivalence fonctionnelle.

🔍 C’est dans ce contexte qu’est née la jurilinguistique canadienne, discipline théorisée dans les années 1980 par Jean-Claude Gémar. Elle a pour objectif d’harmoniser les textes, de prévenir les contresens liés aux différences systémiques et de garantir une cohérence normative.

📋 Exemple concret : en droit civil québécois, un contrat est formé dès l’échange de consentement (art. 1385 C.c.Q.). En common law, il doit reposer sur une consideration (contrepartie), notion inconnue du droit civil. La traduction d’un contrat bilingue applicable au Canada doit donc intégrer ces deux réalités, afin d’éviter toute insécurité juridique.

⚠️ Cette exigence se retrouve dans la pratique :

  • Les arrêts de la Cour suprême du Canada sont publiés dans les deux langues officielles, sans qu’aucune ne prime.

  • Un contrat bilingue engage les parties dans ses deux versions, et toute divergence peut entraîner un litige d’interprétation.

💡 En définitive, la traduction juridique au Canada n’est pas une opération de transposition linguistique classique : elle constitue un exercice de co-création normative, où le traducteur doit maîtriser à la fois la langue et les concepts des deux traditions.

🇬🇧 Spécificités de la traduction juridique au Royaume-Uni

📖 Le Royaume-Uni est le berceau de la common law, système juridique fondé sur la jurisprudence et le principe du précédent (stare decisis). Contrairement aux pays de droit civil, où la loi codifiée est la source principale, le droit anglais repose largement sur l’interprétation des juges et l’accumulation de décisions judiciaires. Cette caractéristique influence directement la traduction juridique : les textes comportent souvent des notions qui n’ont pas d’équivalent exact dans les systèmes civilistes.

⚖️ Certains concepts sont réputés intraduisibles :

  • Trust : mécanisme de gestion de patrimoine propre à la common law, sans équivalent fonctionnel en droit civil.

  • Consideration : condition essentielle de validité du contrat, absente du droit civil.

  • Equity : ensemble de règles et de remèdes propres aux juridictions d’équité, impossible à réduire à « équité » au sens français.

🔍 La difficulté ne réside donc pas seulement dans la langue, mais dans la transposition d’un raisonnement juridique. Un contrat anglais doit être compris dans son contexte : un share purchase agreement (SPA) implique par exemple des garanties et mécanismes contractuels qui ne se retrouvent pas tels quels dans les contrats d’acquisition de droit français.

📋 Exemple concret : lors de la traduction d’un jugement commercial de la High Court destiné à des investisseurs européens, le traducteur doit rendre intelligibles des notions comme duty of care ou breach of fiduciary duty. La difficulté consiste à trouver une formulation qui soit à la fois fidèle au droit anglais et compréhensible pour un juriste de droit civil, sans induire de fausse équivalence.

⚠️ En outre, certaines autorités britanniques, comme la Financial Conduct Authority (FCA) ou le Serious Fraud Office (SFO), exigent la remise de documents traduits dans le cadre d’enquêtes ou de procédures de conformité. La traduction juridique y devient un outil de transparence et de sécurité pour les acteurs économiques étrangers.

💡 En définitive, traduire le droit anglais suppose de maîtriser non seulement l’anglais juridique, mais aussi les mécanismes propres à la common law. Le traducteur n’est pas un simple passeur de mots : il devient un médiateur entre deux cultures juridiques, chargé d’assurer la lisibilité sans trahir la substance.

💡 Bonnes pratiques pour la traduction juridique internationale

📖 La comparaison entre la Suisse, le Canada et le Royaume-Uni montre que la traduction juridique n’est jamais une opération neutre. Chaque système de droit impose ses propres contraintes, et le traducteur doit adopter une méthodologie rigoureuse pour garantir la sécurité juridique des textes.

⚖️ 1. Privilégier l’équivalence fonctionnelle
Traduire le droit, ce n’est pas juxtaposer des mots, mais restituer des effets juridiques. Ainsi, un trust anglais ne peut être réduit à « fiducie » sans explication, car les mécanismes diffèrent. L’objectif est de trouver une formulation qui produise un résultat juridique comparable dans la langue cible.

🔍 2. Fonder la traduction sur une recherche documentaire approfondie
Un traducteur spécialisé doit s’appuyer sur :

📋 3. Anticiper les divergences systémiques
Certaines notions n’existent pas dans l’autre ordre juridique (ex. consideration en common law, cause en droit civil). Dans ce cas, il est préférable d’utiliser :

  • soit une périphrase explicative ;

  • soit une note traductive ou un glossaire, pour clarifier le sens auprès des lecteurs.

⚠️ 4. Se méfier des faux amis juridiques
La traduction juridique regorge de pièges :

  • Trial ≠ « tri » mais « procès » ;

  • Equity ≠ « équité » au sens moral ;

  • Mortgage ≠ « hypothèque » dans le sens strict du droit civil.
    Un faux ami peut créer une insécurité juridique majeure, en particulier dans un contrat international.

📝 5. Favoriser une approche interdisciplinaire
Les documents juridiques ont souvent une composante technique, financière ou industrielle (statuts, comptes sociaux, contrats d’assurance, etc.). Une traduction fiable peut nécessiter la collaboration de plusieurs spécialistes : juristes, traducteurs techniques, experts financiers.

🎯 6. Adapter la traduction au contexte procédural
Dans certains cas (procédures judiciaires, dépôts auprès d’autorités), une traduction assermentée est requise. Le traducteur doit identifier ces contraintes dès le départ pour éviter une nullité de procédure ou un rejet du document.

💡 En somme, la traduction juridique internationale est un travail de médiation conceptuelle : il s’agit de garantir que chaque partie, quelle que soit sa langue et son système de droit, comprenne et applique les mêmes obligations.

❓ FAQ – Traduction juridique internationale

1. Quelles sont les principales difficultés de la traduction juridique en Suisse ?

⚖️ En Suisse, les textes législatifs fédéraux existent en allemand, français et italien, toutes versions ayant valeur juridique égale. Le principal défi réside dans la nécessité d’assurer une cohérence parfaite entre les versions linguistiques, malgré des différences de terminologie et des variations cantonales.

2. Pourquoi la traduction juridique au Canada est-elle un cas unique ?

📖 Le Canada combine le droit civil (au Québec) et la common law (dans le reste du pays), avec deux langues officielles. Les lois fédérales et les décisions de la Cour suprême ont valeur égale en anglais et en français. Cette situation a donné naissance à la jurilinguistique, discipline visant à harmoniser les deux traditions dans des textes bilingues.

3. Quels sont les termes les plus difficiles à traduire en droit anglais ?

🔍 Des notions de common law comme trust, equity ou consideration sont réputées intraduisibles en droit civil. Le traducteur doit alors recourir à une périphrase ou à une note explicative, afin de transmettre le sens juridique sans créer de faux équivalents.

4. Quelle est la différence entre traduction juridique et jurilinguistique ?

📝 La traduction juridique vise à transposer un texte d’une langue à l’autre. La jurilinguistique, développée notamment au Canada, va plus loin : elle harmonise les textes entre deux systèmes juridiques différents, afin que chaque version ait une valeur normative propre et cohérente.

5. Faut-il un traducteur assermenté pour traduire des documents juridiques internationaux ?

⚠️ Cela dépend du contexte :

  • Pour un usage interne ou contractuel, une traduction spécialisée suffit.

  • Pour une production devant un tribunal ou une administration, une traduction assermentée peut être exigée. Les règles varient selon les pays (ex. Suisse, France, Canada, Royaume-Uni).

🎯 Conclusion

📖 L’analyse de la traduction juridique en Suisse, au Canada et au Royaume-Uni met en lumière la diversité des enjeux liés à la circulation internationale des normes. Chaque pays illustre une configuration particulière :

  • 🇨🇭 la Suisse, où le multilinguisme fait partie intégrante de la législation, impose au traducteur un rôle de co-rédacteur des textes ;

  • 🇨🇦 le Canada, avec son bilinguisme officiel et son bijuridisme, oblige à une co-création normative tenant compte du droit civil et de la common law ;

  • 🇬🇧 le Royaume-Uni, berceau de la common law, confronte le traducteur à des concepts souvent intraduisibles, qui exigent des reformulations et une médiation culturelle.

⚖️ Ces trois exemples montrent que la traduction juridique ne saurait être réduite à une opération linguistique. Elle est avant tout un exercice de médiation conceptuelle, où l’enjeu est de préserver la sécurité juridique et l’efficacité des actes, au-delà des différences de langue et de système.

💡 L’avenir de la traduction juridique s’annonce marqué par deux tendances :

  • d’une part, le recours croissant à l’intelligence artificielle et aux outils d’aide à la traduction, qui peuvent accélérer les processus mais exigent un contrôle humain rigoureux ;

  • d’autre part, l’harmonisation progressive du droit dans certaines sphères internationales (Union européenne, conventions multilatérales), qui pose de nouveaux défis de cohérence terminologique.

En définitive, la traduction juridique reste un champ hautement spécialisé, au croisement du droit comparé, de la linguistique et de la pratique professionnelle. Elle constitue un outil stratégique pour les juristes, avocats et investisseurs appelés à naviguer entre plusieurs ordres juridiques.

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